Ce n'est pas de la culture japonaise, mais je me suis figuré qu'il était possible de parler ici d'œuvres cinématographiques...
En 1938, John Campbell écrit "Qui va là ?", une nouvelle de science-fiction qui fera date (disponible en français dans le recueil "Le ciel est mort"). Si elle porte toujours les stigmates d'un style pompeux et de conceptions scientifiques datées, elle lance une idée révolutionnaire... Comme Michael Moorcock inventera le multivers interdimensionnel, comme Robert Heinlein inventera les exosquelettes mécanisés, Campbell invente l'extraterrestre prédateur et protéiforme.
Ancêtre des Aliens, Profanateurs et autres Mutantes, l'entité est un vrai cauchemar, un protoplasme dont la moindre cellule peut envahir tout un organisme, un blob voué à la colonisation des formes de vie avec lesquelles il entre en contact. Le moindre toucher signe votre arrêt de mort, la Chose vous dévore, pille votre ADN, adopte votre forme et vos manières, pour approcher d'autres humains et s'emparer d'eux.
En 1951, quand "Qui va là ?" est adapté pour la première fois au cinéma, gagnant son titre le plus populaire ("La Chose d'un Autre Monde"), c'est surtout pour voir son essence sabotée. Howard Hawks, grand cinéaste et victime de son temps, retravaille entièrement le concept de la Chose : il s'agit désormais d'une forme de vie assez peu redoutable,
un E.T. humanoïde suceur de sang, de nature végétale. Il sème un peu partout de petits bébés-graines qu'il nourrit avec du sang humain, ou animal. La bestiole, au comportement rudimentaire et au manque d'efficacité assez confondant, se fera mutiler par des chiens et pourchasser par des hommes avant d'être bêtement grillée par un piège électrique. Et Campbell se retourne dans sa tombe...
C'est en 1982 que le mythe trouve enfin sa digne adaptation au cinéma, et disons-le, son interprétation la plus fabuleuse, celle qui nous préoccupe ici. John Carpenter, cinéaste d'horreur et d'action pour le moins efficace, obsédé par la propagation du mal, les démons organiques, la possession et la sauvagerie humaine, trouve LE film, celui qui éclairera toute sa cinématographie, le chef-d'œuvre qui le propulsera au panthéon. Entouré d'une équipe puissante (notamment Kurt Russell dans le rôle principal, un roc, et Rob Bottin comme maquilleur qui signe là ses pires délires lovecraftiens), il donne vie à la Chose, à la paranoïa qu'elle crée, à ses ravages sans nom.
Tout se passe dans une base polaire. La rencontre avec une créature écrasée sur Terre voici des millions d'années ne se déroule pas sans heurts, surtout quand la Chose se répand à grande vitesse, telle le pire des virus, ne désirant qu'une chose, envahir, assimiler tout organisme vivant ainsi que ses connaissances. C'est à l'écart de la civilisation que se déroulera l'unique bataille pour la survie de l'espèce humaine, car si l'abomination atteint une zone habitée, ou bien même la mer, elle se répandra à l'échelle mondiale sans que rien ne puisse l'endiguer...
Mise en scène remarquable, effets spéciaux "matériels" (hé oui, l'ère du tout numérique était encore loin) d'un réalisme inouï, personnages sympathiques, caractérisés avec vivacité et incarnés par des acteurs concernés, dynamisme de tous les instants de la narration... et une musique fabuleuse, assurée par le grand Ennio Morricone.
À voir à tout prix, et de préférence tout seul dans une pièce sombre...
La bande-annonce.